
Thierry Saurat est directeur de la communication de Sainte-Luce-sur-Loire, une ville de 15 360 habitants située près de Nantes. Il est également co-auteur de l’ouvrage Réussir son journal municipal, paru en 2014, dans lequel il s’est intéressé à la place de la presse municipale et à sa réussite dans un contexte de surinformation. Un mandat plus tard, il nous parle de l’évolution du rôle et de la place du journal municipal face aux évolutions de notre société.
« Les réseaux sociaux ont créé une interactivité pour le meilleur, des radicalités pour le pire. Ils font que tout le monde croit n’importe quoi, qu’il n’y a plus de hiérarchie de la pensée. On le remarque sur Facebook par exemple, où les algorithmes font que chacun fabrique sa propre hiérarchie d’information en fonction de ses centres d’intérêt. C’est peut-être très bien, mais certains algorithmes font que les gens tournent en circuit fermé. J’estime qu’organiser l’information est un travail et que c’est important et nécessaire. Aujourd’hui, tout le monde est devenu émetteur d’information, ce qui peut avoir des vertus démocratiques mais qui implique aussi la nécessité d’avoir des médiateurs professionnels. »
« Le rôle d’un médiateur, et d’un média municipal, est de proposer une hiérarchie de l’information. Nous avons besoin de gens qui pensent l’information, qui l’organisent, qui la travaillent, qui la vérifient, qui soient intègres, qui sachent la fabriquer. Le médiateur va sur le terrain pour synthétiser l’information, pour la présenter de façon sobre et honnête, de manière à donner des repères aux gens, à leur permettre de comprendre. »
« À l’époque où j’ai écrit le livre, nous réalisions un hebdo municipal qui répondait au souci d’immédiateté, ainsi qu’un trimestriel qui répondait à un souci plus encyclopédique. Aujourd’hui nous sommes passés à un mensuel et à une information quotidienne et immédiate sur les réseaux sociaux et le site internet. »
« Quand l’épidémie de Covid a débuté, en 2020, l’actualité changeait tous les jours. Il devenait quasiment impossible de faire un journal, que ce soit un hebdomadaire, un bimensuel ou un mensuel, qui soit à jour. L’actualité chaude, celle où on dit que « demain, tous confinés » ou que « demain, les écoles sont fermées », ne pouvait donc être que numérique. Mais, par contre, il faut bien penser aux autres, prendre du recul, donner des éléments de compréhension et donc créer un journal utile. »
« Globalement, les gens lisent de moins en moins, nécessitant de faire de plus en plus court. Il y a de plus en plus d’approche visuelle et de dimension graphique, sous forme de l’illustration ou de la data. Même si je trouve que le journalisme de données n’a pas autant percé que ce que je pouvais penser à l’époque. Je me rappelle, quand on écrivait le livre, on se demandait si demain le journal ne serait pas uniquement de la data, graphique… Aujourd’hui nous n’en sommes pas encore là. »
« La tendance de fond est assez simple : plus on est saturé d’informations et plus on a besoin d’espace et que les publications soient claires, lisibles et non saturées. Si vous prenez la presse locale d’il y a 15 ans, les textes se sont réduits. Je crois que c’est ça la tendance : plus clair, plus light, davantage de niveaux de lecture, des illustrations ou de la data, des formats courts… Personnellement, je suis un lecteur du journal Le Monde, j’aime les formats longs, j’aime la littérature, j’aime les films qui durent longtemps, j’aime les séries comportant trois saisons et qui racontent une longue histoire… Mais dans les magazines que je produis, notre article le plus long compte 1800 à 2000 signes. »
« Aujourd’hui ça ne sert à rien de faire des dossiers de quatre pages, des articles à rallonge. Personne ne lit ça. Et quand nous avons publié, à Sainte-Luce-sur-Loire, une nouvelle formule, nous avons poussé très loin cette brièveté des formats. Au début, je me suis demandé si je n’étais pas allé trop loin. Mais nous avons des retours hyper positifs ! »
« Le journal est une expérience visuelle autant qu’intellectuelle, ce qui veut dire qu’une grande majorité de personnes ne vont lire que le titre, l’intertitre, le chapô, la légende, l’exergue et la photo. Et tout doit être dit avant même la lecture de l’article. Aujourd’hui, je pense qu’il y a deux types de publics : peut-être 97 % de gens qui lisent en diagonale, qui lisent vite. Et on a 3 % de citoyens investis, motivés, ceux qui envoient des courriers, qui voudraient avoir accès à l’ensemble des délibérations, des « citoyens experts ». De par ce que je lis ailleurs, étant aussi formateur au CNFPT, je me rends compte que la plupart du temps, les communicants font le journal pour ces 3 %. Pour ma part je pense aux 97 %. C’est en cela que je pense sincèrement qu’on se trompe en faisant une presse trop exhaustive pour une minorité de gens. »
En 2021, dans un contexte de surabondance de l’information, le journal municipal a ainsi un rôle important à jouer : il doit proposer une hiérarchie, un recul, maintenir un lien de confiance et de proximité, permettre de comprendre de façon synthétique. En clair, il doit être un journal utile, répondant au besoin d’information des citoyens, à leurs attentes et à leurs nouvelles façons de s’informer.